Le Maroc a subi de profondes transformations au cours des dernières années. Même si leur impact n’est pas immédiatement visible, elles conditionnent positivement le futur du pays.
Depuis le gouvernement d’alternance consensuelle de 1998, qui a représenté un tournant politique certain, le pays s’est inscrit dans une orientation de démocratie et de modernité, avec une volonté résolue de corriger les problèmes les plus aigus, au premier rang desquels on peut situer la lutte contre la pauvreté et la précarité.
Les élections de 2002 ont représenté, selon l’avis des observateurs marocains et étrangers, les premières élections libres et transparentes du pays depuis l’indépendance. Il y a eu une neutralité réelle des agents d’autorité dépendant du Ministère de l’Intérieur et un observatoire des élections composé par les ONG marocaines a eu l’autorisation de pratiquer une observation partielle du processus électoral. Il y a bien eu quelques irrégularités dans certains bureaux de vote, et des accusations d’achat de voix, mais le reproche principal envers l’administration, est l’absence de publication des détails des résultats définitifs et officiels jusqu’à ces dernières semaines.
Au cours des deux dernières années, il y a eu une évolution positive marquée par :
la publication de la loi sur les partis politiques, après discussions prolongées et négociations avec ces mêmes partis,
le choix du mode de scrutin électoral, toujours en consensus avec les partis,
la volonté affirmée publiquement par les représentants de l’Etat de lutter contre la corruption et l’achat de voix des électeurs,
la garantie de la neutralité de tous les agents publics,
la création de la HACA, qui régule l’accès équitable des partis aux médias, en fonction de critères prédéterminés,
la poursuite judiciaire engagée contre les candidats à la deuxième chambre, au cours des élections de septembre 2006 pour utilisation de l’argent dans l’achat des voix,
les poursuites engagées au cours des dernières semaines contre des candidats accusés de pré-campagne électorale, d’utilisation de l’argent, et de promesses,
la désignation du CCDH en tant que responsable de la gestion de l’observation des élections, et interlocuteur des observateurs nationaux et internationaux,
enfin le discours Royal du 20 août 2007 qui a porté principalement sur les élections, sur la nécessité d’une participation forte et d’une mobilisation générale en vue de leur transparence.
En ce qui concerne les partis politiques, on peut signaler :
la préparation aux élections est un processus permanent, engagé depuis des années pour certains d’entre eux,
des efforts en vue d’aboutir à une recomposition du champ politique ont été engagés et on peut citer à cet égard la fusion du PSD et de l’USFP, le regroupement des partis issus du Mouvement Populaire au sein de la HARAKA, et les négociations difficiles qui ont permis la naissance du Parti socialiste Unifié ; l‘alliance électorale du PSU-PADS et Congrès Ittihadi,
enfin, on peut signaler la réactivation de la Koutla, composée de l’Istiqlal, de l’USFP et du PPS (avec une mise à l’écart de l’OADP qui s’est fondue dans le PSU) ;
Tous les partis politiques ont tenu des assemblées générales extraordinaires pour se mettre en conformité avec la nouvelle loi sur les partis ;
Il y a eu au cours des derniers mois un débat interne dans les partis, sur la démocratie interne, le renouvellement des instances dirigeantes, la place accordée aux femmes et aux jeunes au sein des instances du parti, le mode de désignation des candidats aux élections …
On peut constater une ouverture significative des partis sur la société civile, puisque nombre de partis ont demandé la collaboration d’experts du monde académique, économique ou associatif pour l’élaboration ou l’évaluation de leurs programmes politiques,
Participation des partis aux débats organisés par la société civile,
Appel des partis à des experts en communication pour les aider à élaborer leurs stratégies de communication pendant la campagne électorale,
Elaboration de vrais programmes politiques, nettement différenciés par rapport au passé ; les programmes comportent des orientations claires, des choix réels, un ordre de priorité, des engagements chiffrés et des solutions concernant l’origine des ressources financières nécessaires,
Les programmes des partis comportent par définition des réponses à toutes les questions d’actualité pour le pays, mais on constate des différences significatives dans l’ordre des priorités accordé à certaines réformes, ou des approches de problèmes dont certaines sont innovatrices ;
La plupart ont privilégié la résolution des problèmes socio-économiques, touchant à l’environnement de l’entreprise, la création d’emplois, la fiscalité. D’autres ont mis en premier les réformes structurelles constitutionnelles et autres. D’autres enfin ont davantage axé leur programme sur les réformes de la justice et l’établissement de l’équité sociale,
La société civile et les élections :
la société civile joue un rôle de plus en plus important au Maroc.
Elle a fait preuve d’un dynamisme extraordinaire dans de nombreux domaines et s’est imposée comme partenaire dans de nombreux projets, dont ceux du développement humain, particulièrement dans les zones périurbaines ou dans certaines zones rurales.
Elle est présente dans le champ politique depuis toujours, avec un rôle de veille et de dénonciation, mais aussi de force de proposition, ce qui a permis l’apparition d’associations performantes de défense des droits de l’homme, une évolution vers la démocratisation du pays, et en fin de parcours la création récente de l’Instance Equité et Réconciliation qui a permis aux marocains d’engager un processus de réconciliation avec le passé.
Elle a fait ses preuves dans le dossier des droits de la femme, qui a débouché, après un long combat et une mobilisation de toutes les forces démocratiques, sur l’adoption du nouveau Code de la Famille, qui représente une fierté pour tous les marocains mais qui reste toutefois freiné dans son application par les résistances sociales et culturelles;
Elle
s’est impliquée récemment dans la sensibilisation des citoyens à la
participation politiques,
en particulier en les incitant à l’inscription sur les listes électorales et
à la participation au scrutin de septembre 2007 ; elle s’est aussi impliquée
dans l’organisation de débats entre la société civile et les partis
politiques, en vue de permettre un enrichissement mutuel ;
Elle a enfin contribué à la réflexion et à l’élaboration des programmes politiques de certains partis ;
En ce qui concerne le programme du Collectif Démocratie et Modernité, il a été articulé autour de trois axes :
1- participation à toutes les actions visant à la promotion de la démocratie, à la participation et à la mobilisation citoyenne. Ainsi le CDM est membre du comité de pilotage de 2007 DABA, qui a pour objectif de sensibiliser les citoyens à la participation au scrutin de Septembre 2007, à l’intégration des citoyens au sein des partis politiques. De même il est membre du Secrétariat du Collectif Associatif pour l’observation des élections, qui sera présent dans plusieurs milliers de bureaux de vote et veillera sur la transparence du scrutin.
2- Le deuxième est l’organisation d’une dizaine de débats entre la société civile et les partis politiques, dans les principales villes du Royaume : Casablanca, Rabat, Fès, Meknès, Marrakech, Ksar El Kebir.
3- Le troisième axe est un projet original visant à démarrer un processus de veille et de monitoring politique.
Depuis sa création en 2003, le CDM a organisé une moyenne de dix débats par an, sur des thèmes en relation avec la religion (série intitulée « l’Islam aujourd’hui » ou la démocratie (série intitulée « la démocratie en marche »).
Les débats entre la société civile et les partis politiques organisés au cours des derniers mois rentrent dans le cadre de la deuxième série.
Nous avons choisi de traiter des dossiers importants, en fonction de notre analyse et de notre perspective de la situation du pays, mais rejoignant les choix exprimés par les citoyens marocains dans de nombreuses enquêtes.
Ces débats ont été organisés en partenariat et en collaboration avec d’autres associations de la société civile, particulièrement dans les villes de province.
L’un des objectifs de ces débats était d’amener les citoyens de ces villes à apprendre à organiser des débats autour de thèmes jugés prioritaires pour la ville ou la région.
Les thèmes retenus étaient :
la lutte contre la corruption,
la réforme de la justice,
la problématique de l’emploi,
les problèmes liés aux dégradations de l’environnement,
la mise à niveau du système éducatif,
la collaboration entre partis politiques et société civile,
la gestion des problèmes d’urbanisme,
la garantie de la protection et de la sécurité des biens et des personnes.
Parmi les très nombreuses questions enregistrées au cours des débats, nous avons retenu :
Concernant les partis politiques :
pourquoi y a-t-il au Maroc plus de trente partis politiques ? Les nouveaux partis, (il y en a eu plusieurs qui ont été crées au cours de l’année dernière), apportent-ils un enrichissement au débat politique ou contribuent-ils à augmenter la confusion des électeurs, par la ressemblance de leurs idées et de leurs programmes ?
Les partis politiques ont-ils réellement fait un effort en vue de clarifier leurs référentiels idéologiques et politiques, de manière à permettre à l’électeur d’identifier les grands choix de société qu’ils défendent : libéral ou socialiste, conservateurs versus modernistes ?
la fragmentation du champ politique, le mode de scrutin et le découpage électoral, rendent difficile l’émergence d’un parti ou de partis forts, capables de gouverner en appliquant un programme homogène. De ce fait, le futur gouvernement sera probablement une coalition entre les principaux partis et son programme fera l’objet de négociations pour aboutir à un consensus minimal. L’expérience des dernières années a montré la difficulté de progresser lorsque les partis au gouvernement n’ont pas la même vision ni les mêmes objectifs.
Si la future coalition doit gouverner en fonction d’un consensus, quelle est la part du programme de chaque parti qui ne peut être négociée parce qu’elle constitue un socle de base du projet politique ?
quelle confiance accorder aux promesses politiques, sachant que les responsables politiques ne contrôlent pas tous les leviers de décision ?
Le programme économique :
Il occupe une place de choix. Ce qui a retenu l’attention des observateurs, est la promesse de créer entre 300000 et 400000 emplois annuellement au cours des cinq prochaines années, dans l’hypothèse d’une croissance forte dépassant 6%, indépendamment de l’apport de la campagne agricole. Ceci suppose entre autres, une réforme de l’environnement de l’entreprise et (en particulier en ce qui concerne les PME/PMI), une réforme de la fiscalité, une mise à niveau du système éducatif et de la formation professionnelle, une diminution du coût de l’énergie industrielle.
Les accords de libre-échange signés par le Maroc avec d’autres pays constituent à la fois un défi, parce qu’ils mettent nos entreprises en concurrence avec des multinationales performantes, mais aussi une chance potentielle d’ouvrir de nouveaux débouchés aux produits marocains,
La réforme de la gouvernance est nécessaire pour l’amélioration de la performance de tous les secteurs, politique, économique, culturel et social ;
La lutte contre la pauvreté est envisagée dans le cadre de l’amélioration des indicateurs économiques, de la diminution du chômage, dans la poursuite du programme de l’INDH, mais aussi par des mesures nouvelles et originales, visant à attribuer aux familles les plus démunies une allocation familiale minimale pour leur permettre de faire face aux besoins de base.
Lors des débats, la question de la réforme constitutionnelle et de la définition des pouvoirs du premier ministre et des institutions législative et judiciaire a souvent été posée par le public et par les représentants de certains partis, qui estiment que cette réforme est une étape prioritaire et importante conditionnant le succès de toute réforme dans les autres secteurs.
Le Maroc dispose d’un corpus de lois souvent trop « parfaites » dont l’application est difficile dans le contexte général du pays. Beaucoup de réformes sont envisagées et retenues dans les textes, mais leur applicabilité reste posée. L’une des dernières en date est celle de la déclaration du patrimoine de certains fonctionnaires de l’Etat. A qui est-ce que cette déclaration va être faite ? Que se passera-t-il si un responsable ne la fait pas ? Quelles sanctions seront prises en cas d’abus constaté et comment vont-elles être appliquées ?...
La réforme de la Justice et la lutte contre la corruption font partie du programme de la plupart des partis. Mais à part deux grands partis qui la placent très haut dans leurs priorités, pour les autres, elles constituent plus une déclaration d’intention qu’une foi réelle dans les possibilités d’appliquer cette réforme.
En ce qui concerne la réforme du système éducatif, il est lui aussi présent dans tous les programmes, avec une priorité haute. Mais malheureusement il est considéré comme prioritaire depuis longtemps et cela n’a pas empêché l’éducation de se dégrader régulièrement. Le domaine souffre d’une absence de consensus national sur les objectifs et les ressources, sur les moyens d’évaluation à mettre en œuvre. Il est l’objet de projets contradictoires concernant la ou les langues d’enseignement, la place des langues étrangères, les méthodes pédagogiques à utiliser ; la place de la religion dans les contenus pédagogiques, celle des référentiels universels et de l’apport des autres cultures, …
Pour effectuer les réformes nécessaires, il faut un consensus et une volonté politique qui semblent faire défaut pour l’instant.
Les problèmes liés à l’environnement occupent une place discrète dans les programmes politiques. A l’instar de la communauté internationale, les marocains sont concernés par tout ce qui est en relation avec le développement durable, mais ils sont surtout concernés par les problèmes de pollution de l’air, de l’eau, ou par les décharges des déchets ménagers, qui génèrent des maladies et des décès dont ils aimeraient voir les solutions en priorité haute dans les programmes des partis.
Le rôle de la société civile dans le champ politique et les possibilités de collaboration avec les partis politiques :
La société civile est présente depuis longtemps dans le champ politique. Elle s’est illustrée dans la promotion de la démocratie et des droits de l’Homme. Elle a contribué à l’amélioration du statut de la Femme, au cours d’une longue lutte qui a abouti à la promulgation du Code de la Famille, à la mise en place l’Instance Equité et Réconciliation en matière de justice transitionnelle , de l’Institut Amazigh pour l’affirmation des droits culturels, la reconnaissance de la langue et de la culture Amazigh comme héritage et composantes structurelles de l’identité marocaine. Elle a lutté par ses moyens, contre la corruption, les injustices, la pauvreté …
Elle a contribué à animer et enrichir le débat politique (ALTERNATIVES, CDM, FONDATION BOUABID…).
Aujourd’hui elle s’implique dans le champ politique, en partenariat avec les partis, pour sensibiliser et mobiliser les citoyens à la participation au scrutin. Elle contribue en organisant des débats entre les partis et les citoyens, en vue de permettre un échange de vues ; elle est présente dans le processus d’observation et de validation de la transparence des élections ; elle s’est engagée dans un processus de veille et de monitoring politique, détaillé dans le programme du CDM et visant à faire une évaluation et un suivi des promesses électorales.
Il est évident que la société civile et les partis politiques n’ont ni les mêmes attributions institutionnelles, les mêmes prérogatives ou les mêmes ressources. La société civile a une activité qui est complémentaire de celle des partis. Les actions communes se font dans le cadre d’un partenariat négocié et transparent, respectant les attributions de chacun.
Dans cette phase que vit le Maroc, le dynamisme de la société civile constitue un atout supplémentaire en vue de la réussite de la transition démocratique. Les partis politiques l’ont bien compris, en acceptant les offres de collaboration émanant de la société civile, ou en faisant la démarche inverse.
Contrairement à une opinion courante, les activités du CDM ont montré que le citoyen marocain ne se désintéresse pas de la politique. Il est au contraire un observateur attentif impliqué dans l’analyse et l’évaluation des actions dans le champ politique. A chaque fois que l’occasion de participer à un débat leur a été offerte, les citoyens sont venus en grand nombre. Les débats ont souvent été passionnés. Ils ont duré plusieurs heures et dans les questionnaires d’opinion les participants souhaitaient à chaque fois plus d’occasions de débats et plus de temps de parole pour la salle.
Le désintérêt qui est constaté concerne une certaine forme de pratiquer la politique dans notre pays, en raison du manque de communication de l’action gouvernementale, du manque de confiance dans certains partis ou certaines personnalités politiques, et d’une perception incomplète et parfois erronée des prérogatives et de devoirs de chacun.
Ceci témoigne d’un défaut de communication de la part du gouvernement et des partis sur leurs actions pendant les législatures. Ils doivent annoncer des objectifs au début du mandat et faire le bilan des réalisations au fur et à mesure de l’évolution du mandat.
Cela témoigne aussi de l’absence de travail de proximité de certains partis, et du défaut d’encadrement politique des jeunes, tant au sein de la famille, à l’université ou par les partis politiques.
Il est important que la mobilisation actuelle en vue de faire participer davantage les marocains à l’action politique continue après les élections de 2007, sous des formes diverses, en vue de transformer les spectateurs en acteurs et les critiques en citoyens responsables.
Il va de soi qu’une telle démarche n’est concevable que dans le cadre d’une forte reconnaissance de la liberté d’opinion, de la liberté de la presse et des libertés publiques en général qui nécessitent des lois conformes aux normes internationales